Les manifestations prévues dans le cadre de la neuvième édition du Festival Lagunimages vont se dérouler du lundi 30 novembre 2020 au vendredi 11 décembre 2020. Cette édition 2020 qui marque les vingt ans de vie de l’événement, a pour thème : « Cinéma et tourisme, un duo gagnant ». Dans cet entretien, Christiane Chabi Kao, béninoise, réalisatrice, scénariste, Présidente de l’Association Lagunimages, nous parle, des hauts et des bas enregistrés par l’Association en deux décennies et du bilan qui se dégage des 20 ans de l’organisation de l’événement. Levant un coin de voile sur le contenu de l’organisation de cette édition, elle rassure que le menu des activités est assez riche. Le déroulement de ces activités se fera dans le respect strict des mesures barrières exigées par le Gouvernement pour aller contre la pandémie de la Covid-19. Abordant le registre des perspectives, elle confie que l’Association continue de travailler pour que le Festival Lagunimages grandisse plus et puisse faire venir au Bénin des milliers de touristes à l’instar du Fespaco au Burkina-Faso. Pour y arriver, elle pense qu’il faut forcément une volonté politique, un accompagnement continu de l’Etat.
Votre Festival Lagunimages vient de fermer ses vingt ans de vie, quel bilan que peut-on faire des deux décennies de cet évènement ?
Le Festival Lagunimages a été effectivement créé en 2000 par une réalisatrice Belge d’origine Congolaise qui vivait au Bénin Mme Monique Phoba. En 2007, lors de son départ pour la Belgique, elle a créé une association et j’ai été élue présidente de l’association. C’est cette association qui a organisé toutes les éditions du festival depuis 2009 jusqu’à la présente édition. S’agissant du bilan, nous sommes satisfaits sur le plan de l’organisation. Franchement, ce n’était pas évident de maintenir le cap de l’organisation de ce festival tant d’années après. On a, pendant toutes ces années avec l’association, gardé les activités phares du festival qui sont les projections itinérantes aux populations, les formations et les ateliers, les masters class, et toutes les activités qui permettent de conserver le lien social entre les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel. Donc dans le domaine des projections aux populations, on peut dire que le bilan est très positif parce qu’on a commencé, il y a vingt ans à faire des projections en plein air avec les équipes du Cinéma Numérique Ambulant. Je me rappelle qu’on faisait des projections à la plage, devant les marchés, les places publiques et puis au fur et à mesure, des promoteurs culturels visionnaires ont eu l’idée de créer des centres culturels dans la ville de Cotonou et dans ses périphéries. Et on a tout simplement migré des places publiques vers les centres qui sont des espaces sécurisés et confortables où les spectateurs pouvaient quitter leur maison pour venir s’asseoir et regarder des films. L’association Lagunimages à travers le festival Lagunimages, a permis à des milliers de béninois de voir des centaines de films qu’ils n’auraient jamais vus à la télévision. Concernant les formations et les ateliers qui constituent la deuxième activité phare, le bilan aussi est positif pour nous, parce que nous avons fait venir pendant toutes ces années d’éminents formateurs de plusieurs horizons (Américains, Africains, Européens) du domaine du cinéma et de l’audiovisuel qui ont formé et transmis leurs connaissances aux professionnels béninois. Ceci à travers des masters class. Pour ce qui concerne les activités qui permettent de renforcer le lien social, (les cérémonies d’ouverture, les cérémonies de clôture et les différentes activités ludiques), je pense que beaucoup de festivaliers apprécient le festival parce qu’il y a ce côté festif et ludique où l’on se retrouve pour dîner, discuter, faire la fête. Ce festival a permis de faire des connaissances, d’avoir des contacts, de créer des réseaux. La seule chose qui nous a désolés et qui continue de nous désoler, c’est l’indifférence de notre autorité de tutelle vis-à-vis de ce festival. Jusqu’en 2007, l’Etat béninois soutenait financièrement ce festival et depuis 2007, on n’a plus aucun soutien de l’Etat. De l’édition 2009, jusqu’à celle de 2020, seul le ministère de la communication à travers le Fapa (Fonds d’Appui à la Production Audiovisuelle) en 2009, nous a apporté son soutien. L’Association Lagunimages garde précieusement comme une mauvaise relique, le courrier du défunt Fac (Fonds d’Aide à la Culture) datant de mars 2011, et nous expliquant que Lagunimages ne pouvait pas être soutenu car n’ayant pas d’objectif culturel précis. Le festival ne doit sa survie qu’à des partenaires privés fidèles qui tous les deux ans nous renouvelle leur confiance. Cette année, l’état est présent à travers le Ministère des Affaires Sociales et de la Microfinance, à travers notre Ministère de tutelle qui se bat avec les moyens du bord pour nous aider, mais nous attendons toujours depuis notre premier dépôt de dossier en Janvier 2020 une notification du Fonds des Arts et de la Culture, qui à deux semaines de l’évènement réfléchi encore pour savoir si Lagunimages est un évènement culturel qui remplit les critères fixés par cette institution , pour accorder un accompagnement financier. Un festival c’est quand même un évènement qui soutient une filière, un secteur et qui donne de la visibilité à un pays. Un festival se doit se grandir mais sans le soutien des autorités, je ne suis pas sûr qu’on puisse continuer malgré les sacrifices à exister encore longtemps.
Vous avez certainement connu des hauts et des bas.
Comme tout événement, le Festival Lagunimages a connu des hauts et des bas. Les hauts, c’est quand une édition se passe très bien, que les festivaliers sont contents, que l’on a de très bons souvenirs, qu’on a gardé le contact avec les formateurs, qu’on a vu de très beaux films et qu’on a partagé des émotions avec le public. Les bas du festival, ce sont les moments de préparation pour l’avant festival où il faut courir pour aller chercher du financement où il faut convaincre les gens parce qu’on n’est pas soutenu par les autorités. On a dû annuler l’édition 2017 faute de financement. C’est un souvenir douloureux d’un rendez-vous manqué pour l’association.
Dévoilez nous le menu de cette édition 2020.
Le menu concocté pour cette édition est un menu restreint dû à la crise sanitaire mondiale. Le Festival était censé avoir lieu en avril. Beaucoup d’activités étaient prévues pour marquer ce vingtième anniversaire. Nous avions même prévu inviter beaucoup de cinéastes Béninois travaillant à l’étranger pour des master Class, mais la pandémie de Covid-19 ne nous a pas permis de le faire. On a même frôlé l’annulation. Nous nous sommes battus pour que le festival puisse avoir lieu avec des activités fondamentales mais de façon assez restreintes. Nous avons les projections gratuites qui auront lieu dans les espaces culturels habituels à travers la ville de Cotonou et environs. Nous avons fait une programmation avec des films portant sur la Thématique Cinéma et Tourisme, des films d’école, des films portant sur l’actualité cinématographique béninoise sous régionale et internationale. Il y en a pour tous les goûts. Des films documentaires, des fictions à court métrage et long métrage. Nous avons, une programmation assez riche. Nous avons introduit une compétition. Pour la première fois, en vingt ans, le festival a lancé un appel à film pour la compétition. Il y aura un jury international composé de professionnels Gabonais, Béninois, Togolais et Belge qui vont sélectionner les trois meilleurs films parmi les 27 retenus en sélection officielle et attribuer le Nokoué d’or, le Nokoué d’argent et le Nokoué de bronze. Il est prévu un prix qui sera le prix coup de cœur du jury. En dehors de la compétition, nous avons des ateliers. Cette année, il y a deux ateliers. Le célèbre atelier d’écriture 7jours pour 1 film dont l’équipe de 7 formateurs sera à Cotonou à partir du 30 novembre 2020, atelier d’écriture de scénario qui va déboucher sur laproduction d’un court métrage lequel sera projetée à la cérémonie de clôture le 11 décembre à Canal Olympia de Cotonou. Cet atelier est un concours de scénario qui a commencé depuis le mois de février dernier. Le concours a été lancé depuis Paris par l’Association « 7 jours pour 1film » qui est une association organisant des ateliers de scénario au féminin. Il y a quarante jeunes béninoises qui ont postulé à ce concours et douze ont été retenus. Douze scénarios ont donc été retenus. La particularité ici, c’est que ces scénarios portent sur la thématique : « violences faites aux femmes et aux enfants ». Ce sont ces douze jeunes scénaristes que l’équipe de « 7jours pour 1 film » viendra former à l’Isma du 30 novembre au 11 décembre. Elles auront une formation sur leur projet initial. Cette réécriture aboutira à l’obtention de douze scénarios développés comme on dit dans notre jargon professionnel. Ensuite, entre elles, elles vont choisir le scénario le plus abouti, le plus intéressant. Et c’est celui-là, qui sera tourné sur le terrain à Cotonou et monté. Le produit final sera projeté à la cérémonie de clôture du festival Lagunimages. Le deuxième atelier quant à lui, sera organisé à Gangan Prod. Il sera animé par une professionnelle hors pair en la personne de Fabienne Bichet. Cet atelier est à l’attention des acteurs béninois. Il va leur permettre d’acquérir des notions de communication pour pouvoir mieux se vendre au cours des castings internationaux. C’est une formation de formateurs. Nous avons prévu des masters class. L’une sera donnée à l’Isma par madame Inès Johnson Spain sur le documentaire autobiographique. Elle vient de terminer un documentaire autobiographique tourné au Bénin, au Togo et à Berlin, qui a été sélectionné dans plusieurs festivals internationaux. Cette rencontre sera l’occasion pour elle de partager son expérience avec les professionnels qui aimeraient se lancer dans ce genre. A l’Isma, il y aura le deuxième atelier qui portera sur le financement des projets liés aux problèmes de scénario que les professionnels rencontrent en Afrique Subsaharienne. Cet atelier sera donné par Monique Phoba qui a constaté que dans les dossiers internationaux, de demande de financement, on ne voit jamais le Bénin ou alors quand les dossiers béninois arrivent, c’est des dossiers souvent mal écrits ou mal montés. Comme elle longtemps fait partie d’une célèbre commission de sélection de dossier pour long métrage cinéma, elle va échanger un peu avec les professionnels Béninois pour essayer de voir ce qui ne va pas et ce qui cloche au niveau de ces dossiers qui ne tiennent pas la route quand on les retrouve dans les commissions de sélection des guichets internationaux de financement de film. En dehors de ces deux masters class, il y aura un troisième master class qui sera donné par André Ceuterick… qui est un critique et chroniqueur de cinéma. Il a été pendant vingt ans, président du festival de film de Mons en Belgique. Il va animer son master class sur les violences faites aux femmes, aux hommes et aux enfants. Il apporte des films spécifiques qui ont été tournés sur cette thématique dans différentes parties du globe terrestre. Il s’agira de films asiatiques, européens et africains. Et il va y avoir des échanges et des discussions autour de ces films avec le public. Nous aurons notre cérémonie d’ouverture avec le film d’ouverture. La cérémonie de clôture avec la projection du film de l’atelier 7 jours pour 1 film et la remise des trophées. Toutes nos activités vont respecter les gestes barrières parce que nous sommes toujours en période de pandémie de Covid-19. Comme autres activités, il y aura nos rencontres habituelles à la médiathèque de la diaspora sise à la place de souvenirs pour discuter et échanger sur les problèmes du secteur et faire du réseautage.
Dites-nous la particularité de cette édition ?
La particularité de cette édition c’est d’abord, que nous fêtons la naissance de Lagunimages, ses 20 ans et sa neuvième édition. C’est très important que ce festival ait lieu malgré la pandémie. La tenue de cet événement malgré la crise sanitaire est une façon pour l’Association Lagunimages de dire aux professionnels de ne pas baisser les bras, de continuer à toujours se battre, à faire preuve de résilience pour continuer à trouver des solutions malgré la morosité entrainée par les effets de cette pandémie de la Covid-19. C’est une façon de faire en sorte que la filière Cinéma continue à aller de l’avant. La particularité de cette édition, c’est également, l’introduction de nouvelles activités les innovations à noter dans la sélection des oeuvres pour la programmation, sont des films qui parlent de certaines régions du Bénin de certaines cultures. Ces films feront connaître des cultures des régions du Bénin à d’autres béninois qui ne connaissent pas ces régions mais après avoir vu ces films auront l’envie de les visiter. L’autre chose, nous avons voulu cette année choisir une marraine, Rosaline Daahgue une talentueuse comédienne de théâtre et de Cinéma, qui est depuis quelques années initiée à la pratique de nos religions endogènes sous l’appellation de Iya Essayele. Une conférence réunira le temps d’une matinée, des professionnels du tourisme et du cinéma, pour explorer des sentiers encore non battus , qui permettraient au duo tourisme et cinéma béninois , d’être sur orbite nationale avec la fréquentation locale de nos sites touristiques et orbite internationale en attirant des milliers de touristes découvrant le beau Bénin à travers ses films de fictions, d’animation et ses documentaires.
Après 20 ans de vie, quelle sera la suite ?
La suite sera logiquement ce qu’elle devra être. Dès la fin de la neuvième édition, nous rentrons en même temps dans la préparation de la 10è édition qui aura lieu en 2022. L’association réfléchit déjà à ce qu’elle peut apporter comme un plus au festival. Nous avons pas mal de projets. Nous pensons renforcer les formations, les faire non seulement pendant le festival mais aussi l’année après le festival. Nous comptons créer des résidences d’écriture avec financement à la clé, aider des professionnels dans les domaines de la production pour monter des dossiers bancables et finançables. Nous comptons également nouer des partenariats avec d’autres festivals dans le monde entier pour avoir l’opportunité de projeter aux populations plus de films, la possibilité de rencontrer des professionnels pour pouvoir les inviter au Bénin pour des ateliers et des masters class. Nous comptons continuer à resserrer le lien entre professionnels, à se voir, à discuter pour des solutions communes pour des problèmes communs. Il s’agit de tout faire pour que ce métier puisse commencer à nourrir son homme. Les perspectives pour nous, c’est de grandir et de devenir de plus en plus crédible sur le plan national et international. Fespaco a mis 50 ans pour arriver là où il est, nous on en est dans notre vingtième année. On espère que quand arrivera la fête des 50 ans de Lagunimages, le Festival sera aussi grand et aussi fort que le Fespaco. Pour y arriver, il faut une volonté politique et nous allons nous battre pour que cette volonté politique existe, passer ensuite le flambeau à la jeune génération pour prouver à tous que Lagunimages est une vitrine pour la filière de la cinématographie au Bénin et en même temps une vitrine pour le pays. Aujourd’hui, le festival fait venir une dizaine de professionnels étrangers au Bénin, on pense que le chiffre augmentera avec le temps pour atteindre l’objectif des six mille professionnels et touristes qui débarquent chaque deux ans au Fespaco.
Propos recueillis par Victorin Fassinou