Le Secrétaire général de la Confédération des syndicats autonomes du Bénin (Csa-Benin), Anselme Amoussou était l’invité de l’émission « Grand Format » de la chaîne de télévision Canal 3, le dimanche 21 juin 2020. Les mesures sociales prises pour soulager les populations et entreprises face à la pandémie de Covid-19 étaient passées au peigne fin. Le syndicaliste n’est pas allé du dos de la cuillerée pour énumérer les insuffisances des mesures prises. Lisez l’entretien à Canal 3
Vous faites partie de ceux qui avaient entre temps invité le gouvernement à développer des actions sociales pour soutenir les populations dans cette crise sanitaire Est-ce que ce qui et fait vous satisfaire ?
Je dirai que ce qui a été annoncé pour être fait est à saluer dans la mesure où nous sommes passés de zéro mesure à près de 75 milliards de Fcfa aujourd’hui. On peut considérer que le gouvernement a entendu un certain nombre de cris de détresse et commencé à poser des pas positifs pour sauver les populations qui subissent les affres de la pandémie. Moi particulièrement, je ne suis pas totalement satisfait à partir du moment où il y a encore des pas à faire. 75 milliards, c’est sur la base d’une évaluation qui a été faite certainement par le gouvernement. Il gagnerait à nous sortir les chiffres qui couvrent les besoins. Les fonds sont destinés à quoi ? On a besoin d’avoir ces détails afin d’apprécier l’effort qui a été fait. Cela étant dit, c’est un effort. Et si le gouvernement tient parole, c’est une bonne chose, car il y a des gens, des structures qui en ont besoin. Et en tant que partenaires sociaux, on ne peut être satisfait. 63,38 milliards de francs au profit des entreprises avec 70% de salaire brut des employés déclarés sur une période de 3 mois. Quelle appréciation faites-vous de ce volet des actions sociales ?
Je trouve que c’est un pas conséquent. Il s’agit des mesures qui vont impacter les entreprises pour payer les salaires des travailleurs. De ce point de vue, en tant que confédération, on ne peut qu’être satisfait de cette mesure. Vous savez, les entreprises ont été vraiment impactées. Je vous dis que nous sommes un certain nombre de confédérations à avoir rencontré il y a quelques semaines, les deux patronats du Bénin où nous avons entrepris une démarche où il fallait mettre dans un mémorandum des points à adresser au gouvernement. Il suffit de toucher les employeurs pour savoir ce que la pandémie a été pour eux. Si le gouvernement ne faisait rien, il y a des entreprises qui ne seraient plus en mesure de payer les salaires. Donc payer une bonne partie des salaires à la place des employeurs pendant 3 mois est une mesure à saluer. Ce qu’il faut souhaiter est de demander au gouvernement de mettre le dispositif en place pour que ce fonds aille effectivement vers les travailleurs. Donc, il faut le suivi nécessaire avec un dispositif de suivi…. Quand nous allons dans les détails, vous verrez qu’il y a des mesures qu’on peut améliorer…….
Remboursement de crédit de la TVA. Quel pourrait être l’impact sur la relance des entreprises ?
C’est une manière d’encourager les gens à la consommation. Si on ne le faisait pas les entreprises forcément vont se renchérir les prix des différents produits et le consommateur final va acheter cher les produits. Cette mesure va forcément servir le dernier consommateur. On ne peut que le saluer puisque cela va impacter nous qui allons dans les boutiques pour les achats.
Exonération de la taxe sur le véhicule à moteur pour ceux qui ne l’ont pas encore payé et la conversion en crédit d’impôt au titre de 2020
C’est une bouffée d’oxygène pour le citoyen. Vous et moi savons qu’il n’est pas facile de payer cette taxe qui varie de 30.000fcfa à 50.000fcfa. C’est autant d’argent que le consommateur final peut utiliser pour prendre en charge d’autres besoins. Donc tout ce qui va en faveur du citoyen lambda est à saluer. Elle me paraît assez réfléchir.
Prise en charge de trois mois de loyers commerciaux pour les agences de voyages
Je dis d’abord que c’est bon, puisque ça va théoriquement vers les entreprises. Mais je suis surpris que l’on circonscrive cette mesure au niveau des agences de voyages dont le nombre est insignifiant. Combien d’agences sont encore viables aujourd’hui au Bénin avec l’avènement de la Cellule des voyages officiels (Cvo) qui a pratiquement pris la majorité des prestations des agences de voyages. Alors je ne sais pas si cette mesure a été vraiment réfléchie pour aller vers le plus grand nombre. Il me semble que les agences de voyages ne sont pas les plus touchées par cette pandémie. Elles sont certes touchées, mais qu’est ce qu’on dit des écoles privées ? Qu’est ce qu’on dit de l’enseignement primaire aujourd’hui ? Les écoles ont été fortement impactées. Car, il y a des écoles qui ont déjà mis en chômage technique des enseignants. En nous parlant de la poursuite des activités scolaires, nous parlons de l’organisation des examens. Et quand on sait l’impact de l’école privée sur le système éducatif, l’Etat gagnerait à étendre ces mesures vers les écoles privées ou un autre type de mesures. Car, elles font partie des structures qui ont été oubliées dans cette batterie de mesures.
Les artisans aussi retrouvent le sourire avec une somme de 4,98 milliards de Fcfa
C’est un gros montant, mais combien aura chacun puisqu’ils font environs 55.000 artisans ? Faites le calcul et vous verrez. C’est un gros effort pour une caisse commune mais au final, ce n’est pas un effort si significatif pour les artisans. Je dois dire que cet agent va vers les artisans qui se sont fait enregistrer, parce que le reproche global qu’on peut faire pour les mesures annoncées par le gouvernement, on a fait la part belle à tout ce qui est entreprise formelle enregistrée alors qu’on sait très bien que notre économie est à plus de 80% informelle. Qu’est ce qu’on a fait pour le secteur informel ? Quand on veut prendre des mesures, il faut tenir compte de l’environnement. Il ne faut pas faire les choses comme les autres. Et j’ai été heureux de constater que le gouvernement a pris le temps d’analyser pour savoir ce qu’il faut faire au final. J’ai le sentiment que ces 74 milliards iront vers des entreprises qui en ont moins besoin que les gens qui doivent sortir de leur maison pour aller chercher de quoi à entretenir leur famille. J’ai entendu le gouvernement dire qu’on poursuit l’enregistrement des extrêmes pauvres. Il me semble que ce sont les extrêmes pauvres qui ont le plus besoin de ces appuis. Comment a-t-on pris deux à trois mois pour analyser la situation et annoncer encore aujourd’hui qu’il faut poursuivre l’enregistrement des extrêmes pauvres pour voir ce qu’il faut faire pour eux. Nous sommes dans un contexte où on sait comment nous fonctionnons. Le gouvernement sait très bien comment l’économie fonctionne et comment les gens vivent difficilement, et quel a été l’impact de la pandémie sur l’aggravation de la précarité dans notre pays. Le gouvernement doit éviter de faire attendre les extrêmes pauvres et vite faire comme elle a semblé aller vite avec les entreprises formelles.
Prise en charge de trois mois de factures d’électricité et d’eau
C’est là que j’accuse la démarche du gouvernement. Il lui suffit simplement de discuter avec les acteurs sociaux et on lui aurait faire comprendre que cette mesure n’a pas besoin d’être annoncée. Même si elle a été faite, elle n’a pas besoin d’être annoncée comme une mesure phare du gouvernement. A la limite, on peut accueillir ça comme une insulte. Car au finish qu’est ce que ça signifie de façon pratique ? Le gouvernement dit : « Je dois faire une augmentation de vos factures depuis quelques semaines, mais j’ai différé l’augmentation et je comptabilise cela comme étant de l’argent que je donne à la population pour gérer la pandémie ». Dans notre contexte, cela n’a aucun sens. Déjà que nous déplorons depuis des années la qualité des prestations de fourniture en énergie électrique, on sait très bien que tout le pays n’est pas couvert en matière d’électrification. Le gouvernement fait aujourd’hui des efforts qui ne sont pas à la hauteur des besoins de nos populations en parlant d’électrification. Et donc qu’on vienne annoncer cela comme étant une mesure sociale, c’est encore assez limite. Le gouvernement doit arrêter de citer cela comme une bonne mesure……
Augmentation des cas de contamination avec la COVID-19, sommes-nous dans la gravité de la situation
Je crois qu’on était déjà dans la gravité. La maladie existait au Bénin mais n’était pas encore une pandémie. Aujourd’hui, le rythme s’est accéléré et on est à 90% de contamination. Ce n’est plus tellement les autres qui nous apportent la maladie et je pense que nous devons nous interroger tous sur notre part de responsabilité dans ce qui nous arrive aujourd’hui avec la gestion faite des mesures barrières. Quelle est l’image que nous avons projetée dans la population à un moment donné ? Au départ, on était assez fière de la gestion faite par le gouvernement de cette pandémie. C’était assez rationnel, froide et intelligente. On a toute de suite commencé à crier un triomphalisme qui a conduit à prendre des décisions qui de mon point de vue ne sont pas bien pensées. Je pense qu’aujourd’hui malheureusement, nous sommes en train de ramasser les conséquences de ces errances. Il faut alors communiquer et agir. On sent moins de transparence dans la communication du gouvernement. On veut savoir ce dont nos compatriotes sont morts. Même s’il y a des maladies opportunistes comme le dit le ministre de la santé, on a besoin d’avoir une autre communication sur la pandémie. On peut même chercher de faire une communication ‘’alarmiste’’. Parce qu’on a besoin de ça peut-être en tant que citoyen pour mieux faire attention à nos faits et gestes. Le gouvernement nous a fait comprendre à un moment donné que le pire était derrière nous et qu’on pouvait se lâcher aujourd’hui. Je crois que cela a contribué à ce que nous vivons aujourd’hui. On a eu la rentrée des classes sans aucun dialogue. A ce niveau, ça craint sérieusement pour nos enfants. Malheureusement le gouvernement a annoncé qu’il aura le dépistage des enseignants. A la date d’aujourd’hui, il n’y a eu aucun dépistage. On n’a ni fait le dépistage des élèves, ni des enseignants, pourtant ceux-là sont en classe tous les jours. On a fait au secondaire ce qu’on appelle une logique complètement irréfléchie où on a fait reprendre les cours à tous les enfants. Du coup, on n’a pas permis aux enseignants de prendre les mesures pour faire respecter les mesures barrières et aujourd’hui quand vous allez dans les classes à effectif pléthorique, je me demande si les cas de contamination ne viennent pas aussi de cette façon dont on a repris la rentrée.
Reprise de la seconde vague d’écoliers en Août prochain
Nous avons toujours dit que cette reprise d’août ne nous paraît pas rationnelle. Elle n’est pas logique. De manière pédagogique, elle ne correspond à rien de mon point de vue, parce qu’à situation exceptionnelle, il faut savoir prendre la mesure de la situation pour trouver les moyens pour que les plus petits ne reprennent pas. Il n’y a pas de rentrée logique en août pour le cas que nous vivons aujourd’hui. Demandez à tous les chefs d’établissement du public comme du privé. Ils vous diront que le niveau d’exécution des programmes atteint aujourd’hui dans les écoles permet de donner les résultats aux enfants et de nous planifier pour que l’année prochaine, nous puissions voir ce que nous pouvons faire pour rattraper un certain nombre de choses avant la rentrée. On a déjà fait ça dans notre pays. C’est une mesure qu’on appelle de tous les vœux. Nous allons nous entendre à nouveau avec les autres confédérations pour jouer notre partition en interpellant encore une fois nos ministres de tutelle qui ne communiquent pas du tout sur la pandémie. On peut faire un point aujourd’hui de la rentrée. Est-ce que ça a été fait ? On a donc à faire ou à la direction de la communication ou au ministre des finances qui viennent parler de l’école. Ça n’a pas de sens. Donc c’est le moment plus que jamais que les ministres sortent pour nous dire l’état de la situation dans les écoles. Pour notre part, on doit surseoir la rentrée d’août prochain et laisser les enfants en sécurité à la maison. Je voulais préciser que la rentrée dernière a été effectuée sans la mise en place des subventions aux écoles publiques. Donc même avec la meilleure volonté du monde, les chefs d’établissement n’ont pas les moyens de veiller au minimum dans les écoles. Je pense que l’explosion actuelle nous interpelle et demande que le gouvernement puisse revoir sa copie sur un certain nombre d’actions notamment par rapport à l’école.
Réalisé par Canal3 et transcrit par Junior Fatongninougbo (La Presse du Jour)