Au Bénin, la couture autrefois bien appréciée de tous a cédé sa place aux prêts-à-porter ou encore à la friperie. La mode vestimentaire des jeunes gens a carrément connu un changement drastique au cours de ces dernières années.

Eliane Fatchina

 La préférence des jeunes en matière d’habillement inquiète plus d’un. Le goût pour le prêt-à-porter a pris le dessus avec des habits extravagants. Non conforme à la civilisation africaine, les jeunes s’habillent selon les réalités européennes. « Nous jeunes aimons les habits prêt-à-porter, friperies juste parce que c’est un nouveau look vestimentaire, nous aimons la mode », a déclaré Georgette Arigbo étudiante en deuxième année de droit à la Fadesp. Elle poursuit en justifiant que « quand une nouvelle tenue sort, par exemple les designs, les décolletés, nos pantalons qu’on porte et c’est déchiré façon là. C’est un peu à la mode, donc c’est ça on aime››. Osias Amoussouvè, étudiant en deuxième année à la Faseg abonde dans le même sens que Georgette Arigbo. « Moi j’aime m’habiller en prêt-à-porter parce que c’est ça qui est à la mode, quand tu portes ça, tu es dans le mouvement ». Du même avis, Kobalé Ida Abionan évoque une raison de sécurité. « Moi je préfère les prêts-à-porter parce que je suis à l’aise dedans, je suis décontractée et libre dans mes mouvements mais quand je noue un pagne je suis obligée de défaire et refaire chaque fois. C’est carrément tout un protocole », a-t-elle indiqué avec insistance. Et à Yvon Ango jeune électricien bâtiment d’ajouter en ces termes : « moi j’aime les prêts-à-porter parce que cela me rend plus frais que quand je porte les tenues locales ».

Pourquoi les jeunes se ruent vers la Friperie

L’autre raison qui amène les jeunes à porter les friperies est pécuniaire. Autrement dit porter les tenues locales engendrent plus de dépenses. « Les pagnes sont souvent Chers et sont souvent portés à l’occasion des différentes fêtes et à l’occasion des sorties particulières » a laissé entendre Issakou Hazizath, étudiante en faculté des lettres modernes et journaliste en formation à Lameteo.info. Comme elle, une étudiante en 2è année de droit au campus d’Abomey-Calavi renchérit « Quand on veut faire une robe par exemple, il faut d’abord aller payer le pagne (minimum 2mètres à 2000f) et amener ensuite chez la couturière qui va essayer de la former. Non seulement le processus est long mais cela revient un peu plus cher. Alors qu’avec 1500f ,1000f tu as déjà un « jeans » que tu peux mettre simplement avec un haut un peu léger et le tout est joué ».

Par ailleurs, Georgette Arigbo conçoit que chaque génération a sa mode d’habillement. Ainsi, elle informe que les pagnes ne sont pas pour la jeunesse mais plutôt pour les vieilles personnes.  « Souvent nous les jeunes nous mettons nos friperies pour aller à la messe mais c’est tout le contraire chez nos parents. Car eux préfèrent mettre les pagnes. Mais nous jeunes de nos jours, les pagnes ne nous intéressent plus, nous sommes toujours à la quête de la mode. Les prêts-à-porter, friperies font sortir notre jeunesse et cela prouve que nous sommes d’une nouvelle génération.›› Du même avis, Yvon Ango, jeune électricien bâtiment fait savoir que les personnes âgées portent déjà les tenues locales donc nous jeunes devrons marquer la différence en portant les habits de prêt-à-porter pour marquer. Parfois cette différence nécessite plus de moyens. C’est ce qu’affirme ce jeune électricien qui laisse croire qu’il y a des tenues prêt-à-porter souvent plus chères que les pagnes et que cela dénote de sa qualité supérieure et de son originalité. « Parfois c’est très coûteux mais c’est original et cela ne se gâte pas très vite. Quand tu es dedans les vrais connaisseurs savent que c’est la classe », a-t-il complété.

Osias Amoussouvè va plus loin. « C’est le style européen et on aime ça parce que c’est la qualité et cela requiert plus de valeur. Quand tu t’habilles en vrai prêt-à-porter, même si tu n’as pas un(1) franc(f) en poche, tu es plus considéré », pense-t-il.

Préférer les prêts-à-porter que nos tenues locales a forcément d’impacts sur le revenu des couturiers et couturières. Qu’en disent réellement ces derniers?

 

Les plaintes des couturier et couturière

« Nous les couturières, nous ne trouvons plus de boulot comme auparavant. Le prêt-à-porter a pris toute la place. C’est lors des cérémonies (funérailles, baptêmes, communions) qu’on trouve un peu de clients ou encore pendant les périodes de fêtes de fin d’années ou alors à l’approche de la rentrée scolaire qu’on trouve les tenues kaki et uniforme sinon la couture ne donne plus grande chose aujourd’hui. ». Ainsi Blandine Gbèdjro, couturière à Gbodjè, commune d’Abomey-cAlavi, nous a confié la situation que traversent les ateliers de couture au Bénin. Pour Ruth Dhossa, patronne de l’atelier « Forever couture » de l’arrondissement de Godomey, les jeunes sont influencés par ce qu’ils regardent sur les chaines de télévision.  « Les béninois veulent toujours copier les blancs alors que ceux-ci portent les jeans, les mini-jupes, les robes serrées. Et ils imitent aveuglément ces blancs là. Quand il n’y a pas cérémonie, ils n’aiment pas acheter des pagnes pour coudre, ce qui joue beaucoup sur nous financièrement ». Quant à Marcel Mèdjogbé dit Mèdjo’s couturier sis à Gbodjè, les plaintes sont les mêmes. « Il n’y a pas d’argent, avant j’étais vers les 75 à 80 mille la semaine et c’est compte tenu de cela que je me suis engagé dans les tontines mais aujourd’hui, j’ai vraiment du mal à joindre les deux bouts » se désole-t-il.

Malgré la chute de leur revenu à cause de la floraison des prêts-à-porter, leurs différentes responsabilités restent les mêmes. Comment s’en sortent- ils? Ruth Dhossa nous parle un peu de son cas : « En dehors de la couture, j’ai acheté les chaussures, boucles d’oreilles, sacs et horloges que j’étale dans l’atelier. C’est surtout ces choses là qui les attirent et ils viennent vers moi. C’est cela qui me permet de payer le loyer et l’électricité de l’atelier. Autrement la couture ne sert plus à grande chose, ce sont les grandes dames, les messieurs qui viennent coudre les pagnes. » Une solution similaire qu’a également adopté Marcel Mèdjogbé indifférent. Lui, confectionne les tenues et passe de bureau en bureau pour les liquider. En plus de cela «  je vends les unités et je fais des opérations de transaction mobile money. Je suis obligé de me surcharger avec ces petits trucs pour combler le vide ».

Ainsi on note que le métier de couture  ne nourrit plus son homme comme les années antérieures. C qui se justifie par la volonté manifeste des jeunes à s’habiller sur les étalages de la friperie et des Prêts-à- porter.

 

Justin Benjamin Gbaguidi, enseignant à la retraite opine sur la situation

« L’habillement fait partie de la culture et la culture a pour base l’éducation »

Interviewé sur la question de préférence des jeunes en matière d’habillement, M. Justin Benjamin Gbaguidi enseignant de physique – chimie à la retraite n’hésite pas à situer les responsabilités.

« La première fonction de l’habillement est pudique. Autrement dit c’est pour cacher sa nudité. L’habillement est et doit être une question d’éducation. Mais il se fait de nos jours que les parents ne s’habillent plus traditionnellement. Comment voulez- vous que les jeunes s’habillent? Moi par exemple mon vieux n’aimait pas les tenues traditionnelles. Et donc c’est une chaine et cela se transmet de génération en génération. Ce qui fait qu’on observe un certain dégoût des jeunes pour les tenues locales. L’habillement fait partie de la culture et la culture a pour base l’éducation. En dehors de tous ces paramètres, il ne faut pas perdre de vue nos conditions de vie. Parfois les jeunes ont envie de se mettre en tenue locale  »boba » mais ils sont limités par les moyens. Une autre fonction de l’habillement est de se faire plaisir et c’est là que le choix intervient. Et là encore même si je veux me faire plaisir je ne dois pas choquer mon entourage par mon habillement. Ce n’est qu’à ce niveau qu’on est influencé. Cependant dire que je suis influencé pour aller marcher nu, à cela je dis non. Nous avons une part de responsabilité dans ce que nous mettons. C’est pourquoi je n’accepte pas trop l’influence au point de ne plus être moi même.

Sans nul doute les prêts à porter ont bousculé l’habitude vestimentaire des jeunes béninois. Etant donné qu’ils constituent la partie la plus importante de la population, toute préoccupation les concernant requiert attention et une minutieuse analyse.

 

Cyriaque Ahodékon, professeur titulaire de la sociologie de l’éducation

« Si l’enfant est bien éduqué à la maison, on le saura dans son habillement »

Pour élucider tous les aspects liés à la préférence des jeunes en matière d’habillement nous nous sommes rapprochés de M. Cyriaque Ahodékon, Professeur titulaire en sociologie de l’éducation à l’Université d’Abomey-calavi. Voici son point de vu sur la situation.

 

 

La Presse du Jour : Pourquoi les jeunes préfèrent-ils les prêt à porter du point de vue sociologique?

Pr Cyriaque Ahodékon : Les jeunes constituent une couche sociale qui aime  se singulariser, de sorte qu’ils ont une approche de la mode. Cette approche construit un autre personnel. La marque à leurs yeux constitue un gage rassurant de l’affirmation de son identité.

Peut- on dire qu’ils sont influencés par le petit écran??

Absolument! Les feuilletons constituent une source à laquelle ils puisent pour cette approche. Mais il y a aussi l’éducation de la rue, tout ce qu’on voit dans la rue on veut imiter.

Peut- on au nom d’une quelconque mode se passer de nos valeurs traditionnelles?

C’est un véritable problème. En principe non. Et si cela ne doit pas se faire, l’éducation doit jouer un grand rôle. Et c’est le rôle qui revient aux parents. Lorsque tu es un père ou une mère de famille et ton garçon ou ta fille porte une tenue qui pratiquement n’est pas dans les normes, vous êtes à même de dire à cet enfant non tu ne dois pas porter ça. Mais certains parents laissent l’enfant faire à sa guise. Ce qui est dommage.

Quelles perspectives pour y remédier?

Revenir à l’éducation, cela est très important. On dit souvent que la famille est la première cellule de base de l’éducation. Si l’enfant est bien éduqué à la maison, je crois qu’on le saura dans son comportement, son habillement.

Le prêt à porter n’est pas condamné mais le porter jusqu’à oublier nos valeurs culturelles n’est pas conseillé.

Propos recueillis par Eliane Fatchina